S.F.X. N°206

Une fois n’est pas coutume, c’est une personnalité qui orne notre couverture, et non un film. Nous voulions depuis plusieurs mois interviewer la légende Rick Baker sur la parution de son monumental livre carrière, et l’absence de sortie de films nous en a donné l’occasion idéale.

Son nom n’évoque sans doute pas grand-chose pour la jeune génération. Et pourtant, Rick Baker a été l’équivalent d’une rock star dans le monde des effets spéciaux. Oui, une rock star ! On comprend mieux l’envergure du personnage lorsqu’on réalise que lui, le faiseur de monstres, a deux fois plus de références sur Google qu’Eric Clapton ou cinq fois plus que Jon Bon Jovi ! Il est aussi l’un des artistes les plus Oscarisés de l’histoire du cinéma.

Rick Baker a tout changé dans les effets spéciaux, il a construit une filmographie exemplaire, et surtout, il a donné à sa profession un inespéré parfum de branchitude. Avant lui, les maquilleurs effets spéciaux étaient des messieurs d’un certain âge, en costume cravate et blouse blanche, qui travaillaient dans leur coin. Les médias ne s’intéressaient pas à eux, le grand public ignorait leur nom. Puis est arrivé Rick Baker, un jeune barbu chevelu en jean et basket, biberonné aux films de monstres, qui s’est mis à faire des choses que personne n’avait faites avant. Et ces choses-là étaient plus que fascinantes, elles étaient… cool !

Avec Baker, les effets spéciaux sont devenus branchés, et les gens se sont mis à aller voir ses films pour lui, simple maquilleur, pas pour le réalisateur, ni les acteurs. De fait, il doit être le seul et unique technicien dans l’histoire du cinéma à avoir attiré des gens dans les salles sur son seul nom pendant des années. Dans les années 80, on allait voir « le nouveau film de Rick Baker » (j’avoue…) comme on allait voir « le nouveau Spielberg ».

Son incroyable précocité et sa cool attitude ont forgé sa légende, mais ce qui a fait de Rick Baker le roi de sa profession, c’est sa quête permanente de perfection. Il se passionnait pour ses créations au point de passer des nuits entières à sculpter et à resculpter. Il arrêtait lorsqu’il avait fini, pas lorsque la cloche du studio sonnait. Un investissement personnel sans commune mesure avec celui de ses confrères de l’ancienne école, et qui a fait de lui le moteur de la naissance des effets spéciaux modernes. Il a révolutionné une industrie sclérosée, balayé les méthodes de grand-papa, et initié une formidable vague de films à effets spéciaux dont l’héritage perdure encore aujourd’hui.

Il n’y avait pas vraiment eu d’artiste comme lui dans le cinéma auparavant, et il n’y en aura très certainement plus jamais – Hollywood y veille. Alors, le grand public d’aujourd’hui ne sait peut-être pas qui est Rick Baker, mais le cinéma, lui, sait ce qu’il lui doit !

Alain Bielik