S.F.X. N°224

Et si la révolution numérique n’avait pas eu que des vertus ? Certes, les effets spéciaux ont atteint un degré de perfection inimaginable. Grâce à une maîtrise de l’image au pixel près, il n’existe plus aucune frontière à l’imaginaire.  Rajeunir un interprète ? Ressusciter un acteur décédé ? Montrer une bataille navale… dans le Colisée ? Aucun souci ! Les effets spéciaux n’ont jamais été aussi vivants, aussi riches, aussi omniprésents. Il y a 26 ans, Star Wars : La Menace Fantôme créait la sensation avec ses 1950 plans VFX — un chiffre faramineux à l’époque. Cet été, un simple drame comme F1 en comporte 2500 ! Sans vaisseaux spatiaux, extraterrestres ou cités futuristes. Juste des courses de voitures dans notre environnement de tous les jours… C’est dire à quel point les effets visuels sont aujourd’hui intégrés dans des films où l’on ne s’attendrait même pas à les trouver.

Mais plus les effets spéciaux se démocratisent, plus ils perdent ce qui les rendait… eh bien… « spéciaux ». C’est simple, à quand remonte la dernière fois que vous avez vu un effet spécial qui vous a vraiment stupéfié, une image qui vous a fait penser : “Ce que je viens de voir est impossible !” Je vous parle là de plans ancrés dans notre mémoire de fans d’effets spéciaux, des images qui dépassaient l’entendement, comme les nuages « vivants » de Rencontres du Troisième Type, le premier envol de Superman version Christopher Reeve, la maison qui implose dans le Poltergeist original, le pseudopode d’Abyss, le T-1000 qui traverse la grille dans Terminator 2, les arrêts sur image de Matrix, le plan du miroir dans Contact, ou encore, Patrick Stewart et Ian McKellen rajeunis dans X-Men : L’Affrontement final. Autant d’effets visuels qui nous ont laissés bouche bée, le cerveau en mode « Pause ». Et que le jeune public d’aujourd’hui regarde d’un œil distrait, entre deux vidéos TikTok.

Pour votre serviteur, ces souvenirs de cinéma restent indélébiles. Bien sûr, on pourrait citer des scènes d’Inception ou de Tenet comme points de comparaison modernes, ou bien le final vertigineux de Doctor Strange. Mais pour innovantes qu’elles soient, ces images peinent à laisser la même trace indélébile : elles sont hélas noyées dans une mer d’effets numériques, entre un Godzilla, une énième apocalypse et deux ou trois superhéros. Si bien qu’on ne réagit plus par un “Incroyable ! Comment ont-ils pu faire ça ”, mais par un “C’est fou ce qu’on peut faire aujourd’hui ” Puis on passe à autre chose. Le spectacle est là, mais l’émerveillement, lui, s’est émoussé.

Je considère comme un privilège d’avoir pu vivre ces moments-là de la manière la plus pure qui soit, sans avertissement, sans explication, sans recul. Ces secondes précieuses durant lesquelles le temps était comme suspendu. Et quelque part, il est triste que le jeune public ne vivra probablement jamais la même expérience, simplement parce que ces instants d’éternité sont devenus la norme. 

Alain Bielik