S.F.X. N°197

Martin Scorsese, Michael Bay, Guillermo Del Toro, Steven Soderbergh, les frères Coen, Alfonso Cuaron, Damien Chazelle… la liste n’en finit pas de s’allonger. Cette liste, c’est celle des cinéastes-stars qui ont accepté de tourner pour Netflix. L’ennemi d’autrefois est devenu une sorte d’Eldorado pour des réalisateurs en mal de studios. Un phénomène inimaginable il y a seulement deux ans. C’est que Netflix n’a pas le choix : face à l’arrivée de nouveaux acteurs majeurs dans le streaming, la plateforme est obligée de miser sur les programmes originaux afin d’attirer les clients. Et pour se donner des allures de vrai studio, quoi de plus valorisant que les grands noms d’Hollywood. 

Pour les séduire, Netflix a trouvé une arme imparable : leur offrir des conditions dont ils ne disposent plus à Hollywood. D’abord, ils peuvent tourner des films personnels dont les grands studios ne veulent pas. Ensuite, Netflix leur offre une liberté totale. Le réalisateur a les mains libres pour faire son film à lui, et non pas le film voulu par le département marketing. Il ne subit aucune pression pour, par exemple, réduire la violence (Outlaw King, ci-dessus), adoucir le ton (Mowgli), ou tourner en anglais (Roma). Enfin, les cinéastes disposent avec Netflix d’un accès direct à 125 millions de spectateurs potentiels, et ce, dans le monde entier. Une perspective irrésistible. Dernier avantage, et non des moindres : Netflix donne son feu vert plus facilement qu’un studio hollywoodien. Normal, il faut alimenter la plate-forme !

Ce basculement de cinéastes majeurs vers Netflix constitue un véritable séisme pour Hollywood. On s’oriente désormais vers un modèle économique où les studios traditionnels vont continuer de resserrer leur offre sur des franchises, des suites et des remakes ultra-formatés. Le reste sera principalement produit par les plates-formes de streaming. Aux salles, les blockbusters ; aux écrans, les films indépendants, les œuvres personnelles, les drames exigeants. Bientôt, des films comme La Forme de l’Eau, La La Land ou Le Silence n’auront plus leur place en salles. Trop risqué, trop clivant…

Netflix aura donc non seulement révolutionné la manière dont nous consommons le cinéma et la télévision, mais aussi offert un havre de créativité inespéré aux laissés-pour-compte d’une industrie qui a oublié qu’elle était aussi un art. 

Alain Bielik