S.F.X. N°192

Les fans sont une bénédiction pour une saga. C’est grâce à eux si la « flamme » est constamment entretenue, si Star Wars a pu perdurer sans nouveauté entre 1983 et 1999. Mais cette passion aboutit parfois à des excès regrettables, comme vient de l’apprendre Rian Johnson à ses dépens. Car un fan ne déteste rien tant qu’un film qui ne correspond pas à ses attentes. Il est tellement investi dans sa passion qu’il ne peut pas imaginer qu’on puisse avoir une vision différente. Son interprétation est forcément la bonne. Au point de faire preuve d’une intolérance qui frise parfois l’intégrisme.

Nous avions déjà observé une première dérive avec le remake féminisé de S.O.S Fantômes. Les fans avaient rejeté en bloc le concept et mis en ligne des critiques incendiaires - avant même que le film ne soit sorti ! Juste parce qu’ils n’acceptaient pas un casting féminin… 

Avec Les Dernier Jedi, les fans sont allés beaucoup plus loin. De quoi parle-t-on ? De la manière dont Johnson a démonté toutes leurs attentes. [Avertissement : spoilers…] Depuis la sortie du Réveil de la Force, la communauté Star Wars analyse les moindres détails du film. Au fil des mois, les forums ont agi comme des caisses de résonance qui ont transformé de simples théories en certitudes. À force de se construire une suite idéale, les fans n’ont pas accepté que Les Derniers Jedi leur propose tout autre chose. 

Les parents de Rey ? Johnson balaie toutes les théories d’un revers de main. Les origines de Snoke ? Johnson l’élimine de façon abrupte sans rien expliquer. Les états d’âme de Kylo Ren les exaspèrent ? Johnson le montre encore plus torturé. Luke Skywalker considéré comme un Messie galactique ? Johnson en fait un être aigri et (presque) assassin…

Pour les fan boys, le choc a été rude. Ce Star Wars n’était pas « leur » Star Wars. Si J.J. Abrams avait joué la carte rassurante de la continuité, Johnson a fait le pari de reconstruire la saga pour une nouvelle génération. Après sept films réalisés sur le même moule, il était temps de faire table rase du passé. Et la scène d’ouverture donne le ton : Rey tend à Luke son sabre laser, mais celui-ci le jette comme une relique du passé ! Difficile de faire plus clair comme message…

Trop, c’est trop. Scandalisés, les fans ont attaqué le film sur tous les fronts : critiques outrancières, insultes sur le compte Twitter de Johnson, manipulation de la note du film sur le site Rotten Tomatoes, accusations de corruption des critiques par Disney, et même, pétition pour que le film soit refait ! Un déchaînement de haine édifiant qui a révélé l’incroyable sectarisme de certains.

De nombreuses voix se sont élevées pour condamner ces excès. Le triomphe planétaire du film est là pour démontrer que le grand public, lui, adhère à fond. Et beaucoup ont salué le courage de Lucasfilm qui a osé surprendre, quitte à choquer. Bien sûr, le film n’est pas exempt de défauts agaçants (la virée inutile au casino, Leia dans l’espace, le non-sens de la « poursuite » finale, etc.), mais ce qui fait enrager les fan boys, ce sont les « violations » d’une norme supposée, d’une ligne narrative fantasmée. Ils semblent oublier qu’au départ, George Lucas a imaginé cet univers comme un divertissement pour enfants, pas comme un dogme inaltérable. Et à la base, pourquoi tant de haine ? Après tout, ce n’est qu’un film…

Alain Bielik