S.F.X. N°225

Imaginez un architecte chargé d’un immense chantier. Tout est validé : plans, matériaux, délais. Mais à mesure que l’inauguration approche, le client change sans cesse d’avis : nouveaux matériaux, nouvel ascenseur, ajout d’un étage supplémentaire… Dans le bâtiment, ce serait absurde. Dans le monde des effets visuels, c’est la norme.

Là où chaque heure de travail supplémentaire serait facturée au prix fort ailleurs, les studios VFX doivent absorber ces caprices sans broncher. Un devis est signé sur scénario, sans visibilité sur les changements inévitables. Et quand ils surviennent, impossible de refuser : sinon, comment garder le client ? L’exemple désastreux de Cats reste gravé dans les mémoires : centaines d’heures supplémentaires imposées pour rattraper un rendu jugé insatisfaisant, dans l’urgence et l’invisibilité.

Ce système pèse lourd. Les graphistes et animateurs accumulent les nuits blanches, entre burn-out, précarité et perte de passion. Beaucoup finissent par fuir ce métier qu’ils aimaient. Même les studios mythiques s’écroulent, malgré les Oscars, laissant le secteur au bord du gouffre.

Le problème est structurel : tant que les VFX resteront prisonniers d’un modèle où les clients dictent tout sans limites ni contrepartie, rien ne changera. Les artistes continueront d’être pressés comme des citrons, et les images spectaculaires qui font rêver le public auront un goût amer pour ceux qui les fabriquent.Au final, derrière chaque super-héros ou dragon numérique qui triomphe à l’écran, il y a des équipes invisibles, épuisées, qui portent ces blockbusters à bout de bras. Il est temps que leur travail, lui aussi, ait droit à son générique de reconnaissance.

Alain Bielik