S.F.X. N°205

Quelle période folle nous venons de vivre ! Les cinémas fermés pour la première fois de leur histoire, les tournages suspendus à travers le monde, ce que même les guerres n’avaient pas réussi à faire. Et les magazines de cinéma confrontés à un problème totalement inédit : de quoi parle-t-on lorsqu’aucun film ne sort pendant la période de parution ? Peut-on parler de cinéma sans films ?

Ce sommaire a été certainement le plus difficile à établir depuis les débuts du magazine. Face à l’absence de nouveautés, que faire ? Notre approche a été de regarder en arrière, vers ce qui était sorti ces derniers mois et que nous avions, pour une raison ou une autre, choisi de zapper. À commencer par le phénoménal 1917 dont les secrets avaient été bien gardés et que personne ne considérait comme un film « à effets visuels ». Or, il s’avère que la quasi-totalité du film a été modifiée en postproduction – un travail aussi invisible qu’exemplaire qui a valu au film l’Oscar 2020 des meilleurs effets visuels. Nous avons également choisi de revenir sur la série événement The Mandalorian dont la richesse visuelle et les innovations techniques justifient largement qu’on s’y attarde. 

Et en couverture, quoi d’autre que le nouveau film de Christopher Nolan ? Une fois encore, le cinéaste marque sa différence en proposant un spectacle qui ne ressemble à rien de connu, construit autour d’un sujet complètement original. Ce film devrait être, avec le Mulan de Disney, celui qui va pousser les spectateurs à retourner dans les salles. Car Nolan n’a pas son pareil pour créer des images jamais vues dont tout le monde sait qu’elles méritent d’être découvertes sur le plus grand écran possible. C’est bien connu, un Christopher Nolan ne se regarde pas sur l’écran d’un smartphone… Avec lui, les spectateurs s’attendent à chaque fois à un trip cinématographique, à un voyage dans l’inconnu. Même dans son film en apparence le plus « simple », Dunkerque, le cinéaste réussit à surprendre le spectateur en entrecroisant trois lignes temporelles, donnant à l’histoire une tout autre dimension. Avec Tenet, qu’il considère comme son œuvre la plus ambitieuse, il faut s’attendre à tout.

On ne peut qu’admirer la constance de ce réalisateur qui change de genre à chaque film, qui ne tourne que ses propres scénarios, et qui n’hésite pas à titiller l’intelligence du spectateur en racontant des histoires à la complexité sans équivalent dans le monde du blockbuster. Hollywood cherche à niveler la production vers le bas pour toucher le plus grand nombre ? Nolan fait tout le contraire. Et ça marche. Christopher Nolan, c’est toute l’ambition artistique du cinéma indépendant élevée au rang de superproduction grand public. Tenet ne réussira peut-être pas à sauver la saison cinématographique, mais Nolan, lui, a déjà réussi à sauver le blockbuster de la crétinerie généralisée.

Alain Bielik