S.F.X. N°200

200 numéros ! En voilà une statistique qui claque ! Né en 1991, S.F.X est un projet de passion qui est devenu le projet d’une vie. Cela fait 28 ans que votre serviteur couvre les effets spéciaux sous toutes leurs formes. À l’époque du premier numéro, personne n’aurait pu imaginer que les « films à effets spéciaux » allaient devenir les locomotives du box office, et que ce qu’on appelait alors « les trucages » allaient se démocratiser au point d’essaimer dans des drames, des comédies, des films familiaux, et même le cinéma indépendant. Pour bien comprendre cette révolution, il faut se rappeler que, durant toute l’année 1991, Hollywood ne nous a offert que cinq films comparables aux grands spectacles d’aujourd’hui. Cinq en un an ! Les grands succès de l’époque s’appelaient Maman J’ai raté l’Avion, Danse avec les Loups, Sister Act ou Pretty Woman…

De fait, S.F.X a eu la chance de naître exactement en même temps que les effets numériques, c’est-à-dire avec la sortie de Terminator 2. Dès lors, nous avons pu couvrir chaque étape de ce processus fascinant. Numéro après numéro, nous avons assisté à l’explosion d’une nouvelle technologie, observé les progrès constants réalisés par les studios, admiré les images toujours plus incroyables qu’ils concoctaient. Que de chemin parcouru entre le risible Roi Scorpion du Retour de la Momie et le magistral Peter Cushing de Rogue One !

Il est toujours très excitant d’assister en direct à une révolution. Et celle que nous avons accompagnée avec S.F.X n’a qu’un seul équivalent dans l’histoire des effets spéciaux : la fin des années 70, avec l’invention du motion control (pour les effets visuels) et de l’animatronique (pour les maquillages). Là aussi, une innovation technologique a suscité une explosion du nombre de films à effets spéciaux et donné naissance à des images jugées impossibles jusque-là. La grande différence aujourd’hui, c’est que tout, absolument tout, est possible, même ce à quoi on n’aurait jamais pensé il y a seulement dix ans, comme d’avoir le Samuel Jackson de 1998 dans un film de 2019.

En même temps, cette révolution numérique ne s’est pas faite sans dégâts collatéraux. Des pans entiers de l’industrie des effets spéciaux ont quasiment disparu. Plus aucun studio ne veut travailler avec des miniatures ou des animatroniques ; les images de synthèse font aussi bien pour moins cher. Résultat, la génération actuelle de maquettistes et de spécialistes de l’animatronique ne sera pas remplacée : faute de travail, la plupart des pros se sont reconvertis, emmenant leur savoir-faire vers d’autres horizons. Cette double disparition nous touche profondément car ces deux disciplines sont précisément celles qui avaient éveillé cette passion chez votre serviteur. En se numérisant, les effets spéciaux se sont quelque part déshumanisés. Les images sont infiniment plus réalistes, mais quand on retrouve par hasard une photo de Lorne Peterson sur une maquette de Star Wars, ou de Rick Baker avec l’une de ses créatures, on se dit qu’il y avait là une vraie magie…

Alain Bielik