S.F.X. N°194

Il y a quelques mois, votre serviteur s’était ému de l’acharnement d’une poignée de fans contre Les Derniers Jedi, un film qu’ils abhorraient du fait de sa volonté de casser le moule de la saga Star Wars. Depuis cet édito, la situation a empiré au-delà de ce qu’on aurait pu imaginer.

On parle-là de fan(atique)s qui ne vivent que pour Star Wars au point d’analyser pendant des mois toutes les possibilités pour les origines de Rey ou de Snoke. Ils passent des milliers d’heures à élaborer des théories qui font appel à des détails obscurs de l’univers étendu Star Wars. Et ça marche : l’une de ces théories a suscité près de quatre millions de vues sur YouTube ! Et là-dessus, patatras, voici que Rian Johnson éparpille leurs certitudes par petits bouts, façon puzzle.

Il est normal que des fans soient parfois déçus par l’orientation d’une saga, mais a-t-on jamais entendu parler d’un appel au boycott pour un James Bond, un Star Trek ou un Marvel ? Sam Raimi a-t-il été insulté pour Spider-Man 3, Spielberg injurié pour Indiana Jones 4, Joel Schumacher harcelé pour Batman & Robin ? Non, bien sûr que non. On critique, on s’emballe, on s’exprime, puis on reprend sa vie…

Avec Star Wars, c’est différent. Ces fans de l’extrême sont tellement immergés dans leur bulle qu’ils se prennent aujourd’hui pour les gardiens du Temple. À leurs yeux, Lucasfilm trahit le dogme Star Wars établi au fil de centaines de BD, de romans, et d’épisodes TV. Dès lors, ils ont pris la radicalité des Derniers Jedi comme un affront personnel, une insulte directe. Kathleen Kennedy et Rian Johnson se moquaient d’eux ? Ils allaient se venger. Et de manière très personnelle.

Heureusement, les deux professionnels ont la peau dure et ces attaques éhontées ne les ont pas troublés outre-mesure. Ils avaient une réponse imparable : 1,3 milliard de dollars de recettes mondiales… Si c’était une trahison, elle était plébiscitée !

Faute de pouvoir les atteindre, les fans se sont rabattus sur une cible facile : l’actrice d’origine asiatique Kelly Marie Tran. Ils ont déversé sur elle toute leur haine de la nouvelle saga, toute leur frustration de voir leurs théories ridiculisées, et même toute leur aversion pour la féminisation des Star Wars. Résultat, ils ont réussi à lui faire fermer son compte Instagram. Un an plus tôt, c’était Daisy Ridley qui avait dû faire de même. Pour un simple rôle dans un film… Pire encore, un « fan » n’a rien trouvé de mieux à faire que d’effectuer un remontage sauvage des Derniers Jedi en coupant tous les plans dans lesquels apparaissait… une femme ! Oui, Star Wars expurgé de toute présence féminine. On en est là. 

Rian Johnson a surnommé ces fans des « manbabies », des « hommes-bébés » incapables de gérer leurs émotions vis-à-vis d’un simple film. Jamais une saga n’avait eu affaire à des fans d’une telle toxicité. De toute évidence, une triste étape a été franchie : le cinéma tient ses premiers hooligans. 

Alain Bielik